lundi 9 mars 2009

Le Port Salut

C'est plus fort que moi, je ne peux pas passer dans le quartier sans faire un détour. Chaque fois je sais que je vais être déçu, en regardant à travers les barreaux, par les verres rutilants, les nappes soignées de ce petit restaurant coquet, que j'ai connu enfumé avec, derrière le bar - là où se trouvent aujourd'hui les verres rutilants, sagement alignés - une immense photo jaunie de Boby Lapointe. C'est dans ce petit café-théâtre qu'ont débuté presque tous les grands noms de la chanson. Dans les années 80 j'y ai encore vu Fanon. La salle était vraiment minuscule, les premières tables étaient au ras de l'estrade. J'ai rencontré Jacques Debronckart, peu de temps avant sa mort. Il m'avait reçu en peignoir, il était maigre et très pâle. Sur le pas de sa porte, il m'avait dit «revenez... mais revenez vite». Parmi les nombreuses choses qu'il m'avait dites cet après-midi là, il y en a une qui aujourd'hui encore me semble tout à fait pertinente, pour expliquer la vogue des auteurs-compositeurs-interprètes dans les années 50-60. Il y voyait une forme de voyeurisme sadique: le désir de voir transpirer non plus un comédien interprétant des textes écrits par d'autres, mais celui-là même qui s'était déchiré les tripes en écrivant (homme délicieusement courtois, Debronckart disait les choses de façon moins brutale, mais il y avait de ça). Et je pense que ce n'est pas faux. Et il y avait un peu de ça dans ces lieux où se donnaient en spectacle, pour reprendre la formule consacrée, ces auteurs faméliques, souvent maudits.

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